Mais que dire ?
Que dire sinon précisément : ce qu’il s’est passé, et
qui ne vous dira rien, qui ne dira qu’à moi ?
Que dire sinon cette bouche, l’engloutissement dans cette
bouche qui est une caverne qui est une fente épaisse et dont les lèvres
tremblantes et maboules engloutissent la pâte accablée et nasillarde, le
bouillon, la mixture qui est moi, que dire sinon : cette bouche comme une
fosse avalant le visage plat et intransitif qui est mien, qui est ma fibre, le
décollant comme on décolle des mains nos gants, en suçotant l’intérieur, le
pelant couches après couches de sueur congelée après couches de buée après couches
de poux après couches de graisse livide et couches de fleuves de lymphe
altérée, rongeant, désossant les globules électriques de mes nerfs, les
dégainant, confondant ce qui fut le système de mes pensées en une même matière
grise comme la cendre décatie d’un cigare six cent fois éteint, avalant tout,
avalant encore de ces choses molles qui sont ma peau fourrée, de ces choses
merdeuses comme un ourlet fécal sur une cheville superbe, rutilante, avalant les
paniers de méduses crevées de mes muscles, de mes organes, avalant les gouttières
tachées d’huile de mes veines, avalant les longs fruits jaunes véreux et les
fessiers de fromage de mon intimité, sans y penser, sans mastiquer ni rien,
ingurgitant
la chose qu’on pouvait appeler Sammy Sapin, cette chose vieille
comme le monde, comme le commencement, qui était au début de moi mais avec les
années n’existait presque plus, avec la vieillesse, avec le monde froid
outre-utérin, et n’existe là encore que par la grâce de l’avalement, parce qu’on
peut quand même l’avaler cette collection de glaviots fauves qui partent avec
mes fluides dans l’eau chaude qu’agite, que turbine cette bouche aux exquises
mandibules cornées, cette bouche comme un bec qui me saisit les intestins, les
déroule, se moque des éjaculats, du sang, du mucus, répand tout, mélange,
amalgame, tandis que des tentacules aux cent et mille ventouses me broient,
m’étouffent, me laminent, tandis que des yeux d’ombre magnétique m’emmènent
dans les profondeurs, au plus bas des gouffres, parmi les ténèbres avides et
jusqu’à l’encre primordiale et génésique, jusqu’à l’encre qui n’écrit pas mais
cache, mais aveugle, mais fuit –
et suis là, suis au cœur du cœur, ça colle, vais découvrir,
tout va se dévoiler, il n’y a besoin que d’un moment de plus,
quand soudain tout de moi se défait, le monde s’arrache, la
vie se désincruste des os,
et la pieuvre
qui était mon amante
déclare
°aah°
et
°ça fait du bien°