Barbares 2

 

Pourtant, lorsque les grands-parents nous en parlaient, on avait l’impression que c’était du menu fretin, ces types nommés barbares, qu’ils les avaient vidés du coin en deux temps trois mouvements, vite fait bien fait.

 

Peut-être y avait-il là un poil de forfanterie de leur part.

Que nous n’avons malheureusement pas su déceler.

 

Ce qui nous a aussi manqué, bien sûr, c’est une idée précise de la musculature de nos grands-parents du temps de leur jeunesse. Parce que bien sûr, quand on les voit aujourd’hui, tels que l’âge les a façonnés, c’est-à-dire rabougris, tassés, enroulés sur eux-mêmes pareillement à des coquillages fossiles, on ne s’imagine pas. On ne se rend pas compte.

 

Mais en vérité, ils devaient être superbement développés, quand ils avaient l’âge qu’ont maintenant nos fils. Qui ne possède, d’ailleurs, dans son album de famille, un photogramme de son pépé en train d’abattre des arbres, la lame de sa hache mordant le bois directement au cœur, ignorant écorce et aubier comme s’il s’agissait de beurre et de margarine ?

 

Oui, on aurait pu ou dû subodorer que les barbares de leur époque n’étaient pas des tendres, qu’ils étaient juste tombés sur plus vaillants qu’eux. Conséquemment, il eût été bienvenu de se dire que ça valait le coup de s’entraîner un minimum plutôt que de nous adonner à nos passe-temps habituels, de siroter des liqueurs d’orgeat en terrasse avec de bons amis, de nous remémorer des anecdotes du temps où nous contions fleurette à de jeunes filles aux yeux de braise cachés par des voilettes turquoises – celles-là mêmes qui par la suite devinrent nos femmes, et dont les disparitions nous plongèrent dans d’inconsolables veuvages – ou encore d’admirer, au crépuscule, le soleil qui se tortille à la limite de l’horizon avant de répandre, façon œuf fracturé, des coulures pourpre, aubergine et grenat dans l’éternel firmament.

 

C’est cela : nous aurions dû nous prendre en main, nous préparer plus sérieusement. Aller pousser un peu de fonte. A tout prendre, cela dit, je préfère que les choses se soient passées comme elles se sont passées. Au moins ne pouvons-nous plus nous bercer d’illusions.

Au moins savons-nous mieux, à présent, ce qu’il en est de notre joug.

Au moins connaissons-nous l’identité réelle de ceux qui nous dominent.