27-9: M. Jean-Pierre




         Il y a des jours où même un sexe de jeune fille sur coussin de fleur ne tenterait pas*, songe M. Jean-Pierre. Du coin de l’œil, il observe le sexe qui se trouve dans le salon. Le sexe ne bouge pas. M. Jean-Pierre passe devant le sexe, va à la fenêtre, l’ouvre, elle grince. Il se demande ce que mange un sexe de jeune fille sur coussin de fleur, d’ordinaire. Comme ses cigarettes ne veulent pas sortir du paquet, il se voit obligé de déchirer un peu plus l’emballage. Cela fait deux jours maintenant que les voisins lui ont laissé ce sexe (ils sont partis dans le sud, un week-end prolongé), sans lui donner de conseils. Vous saurez bien y faire, a dit le monsieur. On vous fait confiance, M. Jean-Pierre, a dit la dame. M. Jean-Pierre allume sa cigarette. Peut-être le sexe de jeune fille se nourrit-il tout seul. Une quinte de toux saisit M. Jean-Pierre. Bronchite chronique du fumeur, a dit la dernière fois son médecin, avec un sourire navré. M. Jean-Pierre lui a souri en retour, poliment. Peut-être le sexe de jeune fille veut-il une cigarette. M. Jean-Pierre propose une cigarette au sexe de jeune fille sur coussin de fleur qui ne lui répond pas, dont les lèvres rouge sombre ne frémissent pas. Le sexe, suppose M. Jean-Pierre, ira chasser des souris, des insectes, de petites bestioles dans l’appartement dès qu’il sera parti. M. Jean-Pierre écrase sa cigarette. Il pense à vider le cendrier mais ne le fait pas. Il se dit qu’il va aller faire un tour, respirer l’air frais dans la rue, laisser le sexe un peu tranquille.


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Quand M. Jean-Pierre revient, le sexe a mangé ; une vague plénitude, une trouble rotondité le trahit. Une souris a dû se faire avoir, pense M. Jean-Pierre. C’est très bien, trouve-t-il, si ce sexe de jeune fille peut le débarrasser des souris, c’est toujours ça. Dehors, M. Jean-Pierre a acheté des fleurs. Pour le sexe. Des roses. Il les agite au-dessus du sexe. Il en a pris exprès des bien fatiguées. Elles lâchent leurs pétales qui glissent sur le sexe et viennent se mêler aux autres pétales du coussin de fleur. Je suis bien seul, se dit M. Jean-Pierre. Il jette les tiges pleines d’épines à la poubelle.


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On annonce qu’on va licencier deux mille ouvriers. Le délégué syndical interviewé est gros, très pâle, il dit que c’est un scandale car l’entreprise a fait un bon chiffre d’affaire cette année. Que vont faire les deux mille ouvriers. Ils ont des femmes, des enfants. On revient au présentateur. Il a l’air grave ou désolé, entre les deux. C’est bien malheureux, dit-il sur un ton qui laisse penser que ça devait arriver de toute façon. Un jour ou l’autre. M. Jean-Pierre se tourne sur son canapé. Le sexe de jeune fille est immobile, on dirait une statue de petite taille. Qu’est-ce que tu en penses, toi, demande M. Jean-Pierre. Pas de réponse. Peut-être doit-il s’y prendre autrement. Qu’est-ce que vous en pensez, vous, demande M. Jean-Pierre. Le sexe ouvre les lèvres. Le capital a besoin de destruction, déclare le sexe de jeune fille sur coussin de fleur. Le capital détruit ici pour mieux faire du profit ailleurs. M. Jean-Pierre hoche la tête, lentement, comme une poupée allemande, ancienne. Il pense à sa retraite. Il espère qu’on la lui laissera jusqu’à la fin de sa vie. Il n’est sûr de rien, car tout change, tout va très vite.





*phrase trouvée chez Jean-Pierre George, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste éditions.