textes

 





POEMES TRES COURTS INFIRMIERS


Tournée IV

Si les chariots de soins
Ne pesaient pas une demi-tonne
–Je veux dire
Quatre-vingt kilos
Le métier
Ne serait sans doute
Pas aussi gratifiant

Vocabulaire

Le goût du mot macchabée
Reste en bouche
Plus longtemps que les autres

Vocabulaire II

Le mot sondage
Fait davantage peur aux hommes
Qu’aux femmes

Vocabulaire III

L’adjectif petit
Est l’arme principale
De l’infirmière. 

Vocabulaire IV

Comme lorsqu'elle dit:
Je vais vous faire
Une petite piqûre

Alitement

Dans son dos, près des fesses
Se dessine une escarre – grosse
Comme un poing vide

Unité de Vie Protégée Spécifique

Hurlement du dément
Fin de journée
N’y va pas ou c’est pire

Patient pervers

L’algophile véritable
Hurle de plaisir
Quand on lui nettoie sa toute petite plaie

L’unique

Le médecin chef fend le service
Suivi de ses internes
Comme le belluaire de ses fauves

Ponction

L’aiguille franchit, cherche
Tourne, trouve.
Bouillon de sang dans le tube.

Ponction II

Dans cet hôpital, aiguilles à l’ancienne :
On ne voit rien, il faut y aller
Au jugé.

Ponction III

Un jeune homme,
De belles veines, droites comme
Des autoroutes. Le rêve.

Ponction IV

Veines très superficielles,
Boursouflées, noueuses. 
Rien d’enthousiasmant.

Ponction V

Le sang coule goutte à goutte.
–Vous l’avez eue ? –Je suis
Dedans, mais ça va être long.

Ponction VI

Je pique au pied. Des fois,
Malheureusement,
Il vaut mieux.


POEMES TRES COURTS 


Critique

Le haïku
est la pire
forme poétique

Seuls

les écriveurs de haïkus
connaissent le vrai sens
de la constipation

Météo

quand j’écris des haïkus
j’oublie toujours de parler des saisons
mais je sais que c’est mal

Priorités

j’ai rencontré un type très sérieux :
il avait peur
d’oublier de respirer
  
Silence

quand j’étais petit
pour ne pas faire trop de bruit
je me tripotai juste le frein
entre le pouce et l’index
c’était long et un peu frustrant
mais parfaitement silencieux
 
Maniabilité

j’ai un ami qui a une énorme chose
je me demande toujours :
pour la paluche
est-ce qu’il la prend à deux mains ?
comme Excalibur ?
comme Durandal ?

Animosité

la plupart de mes ennemis
sentent mauvais
mais je leur pardonne

Remarque I

une chose que j’ai remarquée :
les gens musclés font souvent
de la musculation

Onan en emporte le vent

quand j’ai fini de me branler,
ma bite a ce petit air triste
qui me donne envie de lui faire un gros câlin.

Onan en emporte le vent II

ce qui est bien avec l’onanisme
c’est quand on atteint
l’universel





A quoi sert l’orgasme féminin ? (OF 1)




Ce n’est pas moi qui pose la question.

C’est la science qui pose la question.

Parce que ça l’intéresse.

En revanche la science ne pose pas la question A quoi sert l’orgasme masculin.

Parce que ça ne l’intéresse pas.

Car l’orgasme masculin est fade et même falot.

Aux yeux de la science.

L’orgasme masculin est plat, unidimensionnel.

Il est à l’orgasme féminin ce que le navet cuit vapeur est au cassoulet de Castelnaudary.

Il est blanc, il est sans saveur.

L’orgasme féminin lui est vif, riche et épicé ; et il brille dans la nuit.

Aux yeux de la science.

Le problème de l’orgasme masculin c’est qu’il est sans mystère.

On voit tout de suite qu’il permet la libération des spermatozoïdes.

Donc on sait à quoi il sert.

L’orgasme féminin on n’a pas encore compris.

On ne sait pas de quoi il permet la libération.

Pas de l’œuf en tout cas.

L’œuf se libère tout seul.

Chez la femme.

Dans l’espèce humaine.

Spontanément.

L’orgasme masculin s’explique donc on s’en fiche.

Nous les scientifiques.

En revanche l’orgasme féminin ne s’explique pas.

C’est le mystère.

Le mystère excite la science.


La science réfléchit depuis très longtemps. (OF2)



 Au mystère de l’orgasme féminin.

C’est un vieux mystère.

Hippocrate le vieux médecin grec avait déjà une théorie là-dessus.

C’est la théorie de la double semence.

Il y a une semence des hommes et une semence des femmes.

Pour la conception il faut le mélange.

Du foutre mâle et du foutre femelle.

D’après le vieux médecin grec.

Donc les femmes éjaculent.

Il y a une éjaculation féminine.

On ne voit pas l’éjaculation féminine.

Car elle se produit à l’intérieur.

En secret.

Dans le secret de l’intérieur.

Mais elle existe.

Et l’orgasme y mène.

A la fin du siècle 18 ou au début du siècle 19 ou avant on commence à ne plus y croire.

A la théorie de la double semence, à l’existence d’un sperme féminin.

On se rend compte que chez la femme humaine l’ovulation est spontanée.

Il y a un cycle spontané.

Les œufs se libèrent tout seul.

Il n’y a plus besoin d’orgasme.  

Au yeux de la science.


Les femmes n'ont pas besoin d'orgasme (OF3)



Aux yeux de la science.

Mais les femmes ont quand même des orgasmes.

Or rien n’est gratuit.

Aux yeux de la science.

Rien n’est gratuit et tout arrive en raison d’une raison.

Si les femmes ont des orgasmes il y a donc une raison secrète.

Une raison qu’on ne voit pas.

C’est intrigant.

Il faut chercher.

Il faut proposer des théories.

On en propose un certain nombre.

On suppose par exemple que les femmes sont d’anciens garçons.

La machinerie sexuelle des femmes aurait la même origine que celle des garçons.

Embryons mâles et femelles se développent similairement.

Durant les huit premières semaines.

Les voies nerveuses sont encore souples.

Ouvertes à différents types de réflexes.

Dont l’orgasme.

Ensuite les garçons deviennent garçons et les femmes femmes.

Mais les femmes gardent un souvenir du temps qu’elles étaient aussi garçons.

L’orgasme est un souvenir.*

Ou alors on suppose que l’orgasme féminin est une adaptation évolutive.

L’orgasme vise à promouvoir la fidélité.

Grâce à l’orgasme la femme choisit le partenaire le plus adapté.

L’orgasme est un outil (inconscient) de sélection génétique**

Ou bien encore l’orgasme est une technique visant à retenir le sperme dans la matrice.

Quand une femme a un orgasme elle garde mieux le sperme de son partenaire.

Ce qui favorise la conception.***



Ces théories sont plus ou moins anciennes.

Aucune d'entre elles n'est parvenue à s'imposer.

Pour l’essentiel on est dans le flou.





*théorie défendue notamment par le docteur Donald Symons
**théorie défendue notamment par le docteur John Alcock
***théorie défendue notamment par les docteurs Robin Baker et Mark A. Bellis



Mais la science n’a pas dit son dernier mot. (OF 4)




D’ailleurs la science ne dit jamais son dernier mot.

C’est le principe de la science.

Deux chercheuses viennent de mettre au point une nouvelle théorie.

Sur la raison secrète de l’orgasme féminin.

Ces deux chercheuses s’appellent Mihaela Pavlićev.

Et Günter Wagner.

La plupart des revues scientifiques évoquent deux chercheuses.

Cela dit Günter est un prénom masculin.

Il est donc possible que Günter Wagner soit un homme.

Ou une femme avec un prénom d’homme.

Rien n’est sûr.

Pour Wagner et Pavlićev l’orgasme féminin est un vestige.

L’orgasme féminin est un vestige évolutionnaire d’un ancien système.

Cet ancien système était présent chez nos ancêtres mammifères primitifs.

Il est toujours présent chez certains mammifères d’aujourd’hui.

Par exemple le lapin.

Dans ce système l’orgasme provoque d’importantes décharges hormonales.

Qui permettent et actionnent l’ovulation.

Les humains et les primates n’ont plus besoin de ce système.

Ils ont évolué.

Chez eux désormais l’ovulation est spontanée.

L’ancien système persiste pourtant.

D'après Wagner et Pavlićev.

On le voit à travers un certain nombre de signes.

Perceptibles au moment de l’orgasme.

Il y a ainsi accroissement du rythme cardiaque.

Au moment de l'orgasme.

Mais aussi tension neuromusculaire. 

Augmentation de la pression artérielle.

Dilatation des vaisseaux sanguins.

Gonflement des lobes des oreilles.

Gonflement des lèvres.

Accélération de la respiration.

Sécrétion d’une substance muqueuse par la matrice. 

Conscience abolie.

Frissons et tremblements.

Distorsions.

Spasmes et secousses.

Ebranlement.

Tétanie.

Sensation de fonte de la peau et des muscles.

Commotion électrique.

Mouvements cloniques du bassin.

Parfois pâmoison complète.

Syncope.

Pressentiment de mort.


Pour le Dr Elizabeth Lloyd de l’université d’Indiana Wagner et Pavlićev ont raison. (OF 5)



L’orgasme est un vestige.

Un vestige du temps où nous étions mammifères primitifs.

« L’orgasme est aux femmes ce que les tétons sont à l’homme. »

Pense le Dr Elizabeth Lloyd.

De l’université d’Indiana.


Le clitoris a dû voyager. (OF 6)



Chez les mammifères primitifs le clitoris est dans le vagin.

A l’intérieur.

Ce qui est tout de même pratique.

Chez les mammifères plus récents comme nous-mêmes le clitoris est dehors.

Au cours de notre évolution le clitoris s’est éloigné de plus en plus du vagin.

Jusqu’à se trouver hors d’atteinte du pénis inséré.

Günter Wagner explique ce déplacement de façon concise.

« Il ne faudrait pas que l’ancien signal envoie du bruit. »

« Au mauvais moment. »

Le clitoris a perdu sa fonction à cause de l’ovulation spontanée.

Il préfère alors se mettre hors-jeu.

Pour ne pas créer de parasites.

Tout est question d’information.

Envoyer les bonnes informations.

Au bon moment.

Cependant le clitoris conserve un contact avec le vagin.

Le clitoris a des nerfs.

Ces nerfs aboutissent à l’intérieur du vagin.

Ces nerfs sont comme des tentacules.

Qui se rejoignent dans une sorte d’éponge nerveuse.

Cette éponge se nomme le point G.

A cause du docteur Ernst Gräfenberg.

Le point G se situe sur la paroi antérieure du vagin.

Derrière l’os du pubis.

Entre le fond et l’entrée du vagin il faut s’arrêter à quatre centimètres.

Environ.

Cela varie selon les femmes.

Toutes les femmes ne sont pas faites pareilles.

Le clitoris dans son voyage a donc dévidé une pelote de nerfs.

Comme un fil d’Ariane.

Dans le labyrinthe.

Cette pelote dévidée relie le clitoris au vagin.

Ce qui est étonnant.

Du point de vue de la science.

On peut se demander pourquoi le clitoris s’accroche ainsi.

Au lieu de s’en aller tout à fait.

De se rétracter et de disparaître.

Comme le voudrait Darwin.


La théorie de Wagner et Pavlićev explique qu’il y ait des femmes anorgasmiques. (OF 7)




Pour le Dr  Elizabeth Lloyd.

Ce n’est pas de leur faute.

Ce n’est pas qu’elles s’y prennent mal.

Ce n’est pas qu’elles ne connaissent pas bien leur corps.

Ce n’est pas une question de compétence sexuelle.

C’est à cause de l’évolution.

La théorie de Wagner et Pavlićev est donc déculpabilisante.

Trouve le Dr Elizabeth Lloyd.

De l’université d’Indiana.

Et le Dr Elizabeth Lloyd va même plus loin.

Si Wagner et Pavlićev ont raison pense-t-elle l’orgasme féminin va disparaître.

A terme.

Comme tous les vestiges de l'évolution.

Car les vestiges s’effacent.

Dans le futur il n’y aura plus d’orgasmes.

Pense le Dr Elizabeth Lloyd.

Nous vivrons dans de grandes structures mobiles intersidérales bleues.

Ce sera une autre époque.

L’espace sera froid.






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L’univers accélère depuis 1998 (DES 1)



jusque-là
jusqu’avant la victoire des bleus
on pensait tous comme Edwin
Hubble
que l’univers était en expansion
que toutes les galaxies
s’éloignaient les unes des autres
que toutes les galaxies
s’éloignaient par exemple
de chez nous
de la voie lactée

mais depuis 1998
depuis qu’on a gagné au foot
tout a changé
l’univers est en expansion toujours
et les galaxies s’éloignent
mais on sait en plus
que cette expansion s’accélère
on sait que tout va de plus en plus vite dans l’univers
que rien ne freine l’univers

donc on ne sait pas où on va
mais pour sûr on y va de plus en plus vite
on sait que c’est comme ça
que ça accélère
mais pas d’explication
c’est le mystère
c’est l’énigme
l’univers va de plus en plus vite
on sait pas pourquoi
tout ça n’est pas fait
pour nous rassurer


Heureusement il y a la science (DES 2)



et la science s’interroge
la science ne vous laisse pas des problèmes comme ça
sans réponse sur le côté 
la science n'est pas comme vous
vous vous seriez capable de laisser
votre voiture en panne sur la bande d’arrêt d’urgence
et d’aller dans les bois
d’ôter vos vêtements citadins
de vous construire une cabane
pour vivre une autre vie
une vie d’ermite
une vie où vous serez meilleur avec les autres
et avec les choses
une vie où vous serez un meilleur vous
dans la forêt
à l’écart de la ville

mais la science non
la science n’est pas comme ça
la science répare sa voiture
la science attend les dépanneurs
la science reste à la ville quand il y a un problème à la ville
elle propose des solutions
même si ces solutions ont l’air encore pire que le problème
elle propose la science
elle ne se laisse pas abattre


La science pour le problème de l’univers qui s’accélère (DES 3)



propose même deux solutions qui sont en fait trois
la première c’est l’idée
que peut-être Einstein
que bon Einstein c’était un sacré type
rien à redire là-dessus
un sacré type avec un sacré cerveau Einstein
mais que peut-être il s’est planté
pas sur tout mais sur une partie
sur la partie gravitation
enfin seulement quand on cause grandes distances
très grandes distances
distances intergalactiques
– donc la première solution
c’est que la gravité
au lieu d’attirer les choses
comme d’habitude
comme dans le système solaire
eh bien
dès qu’il s’agit de très grandes distances intergalactiques
elle devient le contraire
de ce qu’elle est chez Einstein et chez Newton et chez nous dans notre système
elle devient une force qui repousse les choses
si bien que voilà
la gravité
de près elle attire
mais de loin elle repousse
comme un vieux copain
avec lequel vous étiez vraiment très lié
lié comme on peut l’être quand on est jeune
mais que vous n’avez pas revu depuis vingt ans
que vous croisez par hasard dans le métro
après tout ce temps
et qui au lieu de vous rendre votre salut
fait mine
de ne pas vous voir


La deuxième solution (DES 4)



qui a elle-même deux formes
c’est de dire :
il y a quelque chose dans l’univers
quelque chose d’invisible
l’univers est plein de cette chose invisible
cette chose invisible nous les scientifiques on va l’appeler comme dans Star Wars
L’énergie sombre
et cette énergie sombre c’est une force
qui lutte contre la force de la gravité
et qui aux échelles les plus grandes
aux échelles les plus franchement intergalactiques
prend le dessus sur la gravité
si bien que logiquement
tout s’accélère
au lieu de freiner

et les cosmologistes pensent
que l’énergie sombre, si elle existe,
devrait constituer 70% de la masse ou de l’énergie
(c’est la même chose quasi
à cause que E=MC2)
présente dans l’univers
ce qui fait pas mal
ce qui fait une proportion assez appréciable
ce qui fait que nous sommes bien peu de choses
nous la matière ordinaire (étoiles et gens)
nous qui pesons 5% de la masse de l’univers
nous sommes bien peu de choses
à côté de l’énergie sombre (70%)
et à côté aussi de la matière noire (25%)
qui est une autre forme invisible
de la matière
oui nous sommes bien peu de choses
à peine 5%
sur la balance


Mais alors l’énergie sombre (DES 5)



ce n’est pas aussi simple que ça pourrait en avoir l’air
à première vue
en fait il y a deux possibilités deux formes
que peut prendre cette solution-là au problème de l’univers qui s’accélère

soit l’énergie sombre
vient de l’énergie du vide

soit l’énergie sombre
vient de la quintessence

et dans tous les cas c’est assez astucieux
faut reconnaître que c’est assez astucieux
par exemple l’énergie du vide
commençons par le premier truc
l’énergie du vide
bon
pour l’énergie du vide il faut imaginer
une boîte avec rien dedans
hermétique
une boîte avec vraiment rien à l’intérieur
(il faut se concentrer au niveau de l’imagination)
rien du tout du tout
et une fois que vous y êtes
une fois que vous l’avez imaginée
cette boîte avec à l’intérieur le vide parfait
une fois que vous l’avez imaginée
il faut se dire que dans la théorie quantique
même cet espace vide est porteur d’une certaine forme d’énergie
et qu’il peut donc y avoir et y aura sûrement
dans cette boîte parfaitement vide
apparition spontanée
de paires particule-antiparticule
qui après un bref instant
(le temps d’une étincelle)
vont s’annihiler
de sorte que le vide de la boîte
si vous le regardez avec les yeux de la physique quantique
ce vide n’est pas vide
ce vide est peuplé
de particules virtuelles
et ce sont elles
qui portent sur leurs épaules
l’énergie sombre
et ce sont elles
qui entraînent
l’accélération de l’univers
et tout est
de leur faute


Ou alors (DES 6)



Ou alors on a pensé à un autre truc :
l’énergie sombre viendrait plutôt
de la quintessence
et donc la quintessence c’est très beau
c’est poétique comme on dit c’est poétique
à propos d’à peu près tout
sauf de la poésie* 
et bon à part que c’est beau
la quintessence ce serait un champ quantique
présent partout dans l’espace
un peu aussi comme dans Star Wars
et ce champ a beaucoup à voir
avec le champ de Higgs
lié au boson de Higgs
dont vous avez sans doute entendu parler
si vous écoutiez France Culture en 2012

alors bon
la particule de la quintessence
serait presque comme un boson de Higgs
elle aurait comme le boson de Higgs
un spin nul**
c’est-à-dire un moment cinétique propre 
nul

mais par contre
elle serait plus légère la particule de la quintessence
plus légère que le boson de Higgs
plus légère d’environ
44
ordres de grandeur
ce qui signifie qu’elle serait
beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup beaucoup beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup
beaucoup beaucoup
beaucoup
plus légère
que le boson de Higgs.






*voir le texte de Martin Rueff, trouvable sur l'internet, à propos de la non-poésie des non-poètes

** voir schéma explicatif ci-dessous: 




A Iowa city, Iowa, s’est tenu en 2013 un congrès international de cosmologie (DES 7)



rassemblant les plus grands cosmologistes de notre temps

l’atmosphère était tendue

on sentait les protagonistes à bout

et le drame que nous redoutions tous s’est produit :
un savant partisan de l’énergie sombre
a attaqué un savant partisan de la gravitation modifiée
avec un stylo bic rouge
l’éborgnant et lui laissant
deux trous rouges au côté droit

les autorités cosmologiques ont compris
qu’elles ne pouvaient plus laisser la situation s’envenimer ;
des fonds ont été débloqués pour trancher la question,
pour savoir enfin
si l’univers accélère
à cause de la gravité qui s’inverse
à cause de l’énergie qu’il y a dans le vide
ou à cause de la quintessence

quand on eut les fonds,
il fallut savoir
ce qu’on allait en faire :
c’est là que les autorités cosmologiques se sont dit
bon les mecs
on n'a qu’à faire comme d’habitude
on n'a qu’à faire ce qu’on sait faire
on n'a qu’à construire un gros télescope

puis bien observer le ciel

pour voir comment ça bouge


Alors ce gros télescope (DES 8)



on l’a appelé
Caméra de l’Energie Sombre (Dark Energy Camera)
et pour le projet cosmologique en général
on s’est dit que
Enquête sur l’énergie sombre (Dark Energy Survey – DES)
ce serait très bien

évidemment il y en a qui se sont plaint
mais c’est habituel chez les cosmologues
ils passent leur temps à se plaindre
si jamais vous croisez un cosmologue content
c’est sans doute qu’il est en train de se réjouir
du malheur d’un autre cosmologue

cette fois
ce sont les cosmologues partisans de la gravitation modifiée
qui se sont plaint
dont le sang n'a fait qu'un tour
qui sont devenus rouge cassis
dont les veines ont formé sur le front comme des nœuds de vipères vexées
qui ont tout cassé dans leur bureau de cosmologues
et qui se sont mis à crier
BIAIS D’AUTOCONFIRMATION !
BIAIS D’AUTOCONFIRMATION !*
à la cantonade


quand ils furent un peu calmés
les cosmologues partisans de la gravité modifiée 
expliquèrent :
le nom que vous avez donné à ce projet
montre bien que ce que vous cherchez en priorité
ce que vous vous attendez à découvrir
c’est l’énergie sombre
et que vous vous fichez
de la gravité modifiée
comme de votre première chaussette 

les autorités cosmologiques
étaient bien embêtées
mais c’était trop tard
le nom était donné
on avait déjà fait imprimer les sigles et les logos
et le projet s’appellerait donc bien
comme on avait dit qu’il s’appellerait :

DES








*un biais d’autoconfirmation désigne la tendance du cerveau des autres cosmologues à penser qu’ils ont raison alors que c’est votre cerveau et vous qui avez raison


Et le but de DES (DES 9)



c’est d’observer en particulier
dans le ciel
quatre phénomènes
qui peuvent nous renseigner
sur la vitesse de l’univers

et ces quatre phénomènes sont

les supernovæ

les ondes acoustiques primordiales

les lentilles gravitationnelles

les amas de galaxie

– sachant que
les trois théories sur l’accélération de l’univers
(la quintessence/l’énergie sombre/la gravitation modifiée)
donnent chacune à l’univers
une vitesse différente

et qu’à ce petit jeu-là
c’est la théorie qui aura prédit au plus près
la juste vitesse de l’univers
et son accélération réelle
qui sera la théorie
la meilleure


Pour ce qui est des supernovae (DES 10)



il ne s’agit pas de n’importe quelles supernovae
on ne va pas photographier des supernovae comme ça
au pif
non
on va observer les supernovae de type Ia
parce que les supernovae de type Ia
c’est comme les gens qui ont un petit quelque chose
c’est comme les gens qui ont un je ne sais quoi de spécial
les supernovae de type Ia ne sont pas des supernovae du tout-venant
ne sont pas comme n’importe quelle supernova lambda que vous pourriez croiser dans la rue
elles sont différentes des autres

car

leur luminosité ne varie pas au cours du temps

si bien que

lorsque vous regardez de la terre
des supernovae de type Ia
toute différence de leur luminosité
sera due uniquement
à la distance de la supernovae
plus les supernovae Ia semblent pâles
plus elle seront lointaines

cela dit ça ne suffit pas
la distance ne suffit pas
il nous faut aussi la vitesse

et pour la vitesse c’est presque aussi simple
on va mesurer le décalage des émissions électromagnétiques
des supernovae Ia
on va se servir de l’effet doppler
l’effet doppler que vous connaissez bien
s’il vous est déjà arrivé de vous retrouver
au milieu d’une Autobahn à cinq voies
nu
à trois heures de l’après-midi
et de voir débouler dans votre direction
sur les cinq voies
toutes sirènes hurlantes
cinq ambulances allemandes
tandis que dans le ciel
des rapaces tournoient
l’œil
braqué sur vous
et les sirènes des ambulances
sont aigues vous déchirent les oreilles
se rapprochent
vous fermez les yeux
vous pensez être écrasé
vous vous dites c’est idiot
c’est idiot d’être écrasé par une ambulance allemande
vous sentez un souffle
sur votre torse et votre nuque
vous ouvrez les yeux
les ambulances sont passées
vous êtes indemne
et c’est là que vous remarquez
que les sirènes des ambulances qui s’éloignent
se modifient
deviennent plus graves
et vous vous dites
c’est donc ça
c’est donc ça l’effet doppler

or l’effet doppler vaut pour le son
mais aussi pour la lumière
car la lumière n’est qu’une onde
presque comme les autres

si bien que le spectre lumineux d’un objet qui s’éloigne de nous
une supernova de type Ia par exemple
va être décalé dans le rouge
tout comme la sirène de l’ambulance allemande
était décalée dans le grave

en prenant en compte l’effet doppler
on pourra obtenir en même temps que la distance
la vitesse réelle des supernovae

et de la vitesse réelle des supernovae
à la vitesse réelle de l’univers
tous les cosmologues savent
qu’il n’y a
qu’un pas


Une autre chose qu’on peut observer (DES 11)



si on veut
si on a le courage:
les ondes acoustiques primordiales
qui sont des vestiges
de l’histoire de l’univers primitif

car 

l’univers n’a pas toujours été

tel que nous le connaissons :
grand, portant beau, avec
les tempes grises
non
l’univers a aussi été jeune
comme vous comme moi
l’univers a été comme vous comme moi
un point minuscule
guère plus gros qu’une tête d’épingle
et même franchement plus petit
plein d’ardeur et d’enthousiasme pour la vie
prêt à toutes les aventures
et pour tout dire un peu fou-fou
oui
voilà comment était l’univers
à l’époque de son commencement :
fou-fou et puis empli
d’un plasma de matière ionisée
(noyaux atomiques et électrons)
et de photons en interaction
– à cette époque de l'univers deux forces s’opposaient
à peu près comme dans Star Wars
d’un côté la lumière
de l’autre côté la gravité
et cette concurrence entre lumière et gravité
à créé dans le plasma premier
des vibrations semblables à des ondes sonores
et ces ondes se sont propagées
jusqu’à ce que l’univers commence à se refroidir
vers 380 000 ans
après B. B

et ces ondes
la trace de ces ondes
est encore inscrite
dans le paysage
de l’univers

c'est pourquoi étudier ces ondes
déchiffrer leur chemin
devrait nous permettre de savoir
à quel moment l’univers a accéléré
à quel moment le responsable de l’accélération cosmique
que ce soit l’énergie du vide
ou la quintessence
ou la gravité modifiée
(appelons-le pour l’instant et dans le doute
« Madame Le Responsable »  
ou bien
« Madame Le Responsable de l’Accélération »)
à quel moment cette force 
a pris le dessus
sur la gravité
et s'est mise à disperser les galaxies
à éloigner les amas de matière les uns des autres

à tout séparer

à une vitesse
toujours croissante


Il y a aussi les lentilles gravitationnelles (DES 12)




On ne va pas y couper aux lentilles.
Il y a quatre phénomènes cosmiques, il faut causer des quatre.
Même si maintenant je me rends bien compte
que c’est peut-être un peu longuet cette histoire
de décrire après les trois théories
les quatre phénomènes 
et que j’aurais pu m’arrêter
au moment de la quintessence par exemple
le poème aurait été bouclé plus tôt
et pas plus mal
mais voilà : je suis embarqué
comme une bille qui roule
dans un roulement à bille :
je suis lancé
une fois lancé
on est tous pareils
on est comme l’univers
c’est difficile de s’arrêter

donc les lentilles gravitationnelles
reposent sur une propriété de la lumière
prédite par Einstein dans sa théorie de la relativité
générale : les rayons de lumière
émis par les galaxies lointaines très lointaines
sont courbés par le champ gravitationnel
de la matière
à côté de laquelle ils passent
pendant leur voyage jusqu’à nous
ce qui déforme l’image qu’on en a  
– ces galaxies 
vont prendre 
l’aspect d’arcs de lumière longs et fins
ou carrément
se dédoubler
au lieu de nous apparaître
telles qu’elles sont
en vérité

alors bon en étudiant ces courbures
on peut situer 
la matière qui fait obstacle à la lumière des galaxies et la courbe
on peut établir
une carte de la matière dans l’univers
et savoir
comment la matière se répartit partout

ce qui devrait nous renseigner avec un peu de chance
sur la vitesse à laquelle l’univers s’est organisé dans sa jeunesse
pour devenir
l'univers qu'il est
aujourd’hui


Pour les amas de galaxie (DES 13)



on va faire bref
il ne s’agit pas non plus de se faire du mal
on va aller à l’essentiel :
la gravité est chaleureuse
ce qu’elle aime c’est la proximité
ce qui lui plaît dès l’origine
c’est de faire des tas
c’est de tout rapprocher
c’est d’agréger la matière
c’est de rassembler les galaxies en amas

mais l’énergie sombre ou une force de ce genre
s’y oppose
et disperse
tout ce que la gravité
voulait coller ensemble

connaître la vitesse de cette dispersion
nous donnera la vitesse de l’univers
l’un allant avec l’autre
comme les deux doigts de la même main 
car plus les choses se séparent
plus l’univers est grand


à partir de là c’est bon pour les quatre phénomènes
j’ai tout dit et l’affaire est pliée

s’il y a encore des choses qui semblent obscures

c’est normal

c’est soit la faute de l’univers

soit celle des cosmologues

soit la mienne


en ce qui me concerne
à ma décharge
je comprends pas
tout ce que je raconte

j’apprends ce que j’explique
en même temps que je l’écris

et pour le reste
pour la quintessence les bosons la matière noire
la gravité qui s’inverse et repousse au lieu d’attirer
l’énergie sombre l’énergie du vide
l’expansion de l’univers et sa vitesse réelle

pour tout le reste, la vérité 
c’est l’avenir 
l'avenir et les gros télescopes
qui la diront