Je me lève matin.
Le monstre issu d’un angle du mur
de ma chambre a tellement grossi entre crépuscule et aube, il a tellement enflé
et envahi l’espace à partir de l’angle que c’est à peine si ses bras, qu’on
peut aussi qualifier de tentacules griffus, ne parviennent pas à me saisir la peau du cou quand
je descends du lit, enfile mes chaussons et part appuyer sur le bouton de la
bouilloire dans la cuisine, c’est une question vraiment de quelques centimètres
– il faut à tout prix que je me débarrasse de ce monstre avant que ce
monstre ne me déchiquète ou me charcute et torde les organes ou
autre fin de mézigue plus sordide encore et dont je me passerais.
J’ai déjà songé scie, vous pensez, j’ai songé scie manuelle, ou taille-haie de marque allemande STIHL
spécialiste en matériel de motoculture forestière, ou débroussailleuse de
marque STIHL et aussi tronçonneuse de la même dite marque STIHL mais
bon : quelle que soit la façon dont on le retourne le problème vous présente
toujours identique figure – si on tranche dans le lard d’un monstre, on
peut s’attendre à l’émission littérale de geysers d'un fluide orangé visqueux qui a certes peu en commun avec notre brave vieux sang humain mais partagent néanmoins avec
lui, mis à part sa nature de liquide vital : son caractère maculatoire très
mauvais pour tout ce qui est papier-peint, tapisseries, tapis et moquette,
literie dont taies, couvre-taies et sous-taies, draps et alèse, couette et housse de couette
sans parler du matelas, en bref on peut s'attendre à une salissure totale de toute la chambre tant et si bien qu’aucune société de nettoyage industriel ne voudrait ensuite
se charger de l’affaire de remettre la pièce à neuf – outre que n’importe quel
agent de n’importe quelle société s’évanouirait au premier pas à cause de
l’odeur très très forte de bismuth le rapport investissement-profit serait trop
faible – en sorte que je ne sais, quoi faire, peut-être vaudrait-il mieux somme
toute que ce soit lui, le monstre, qui m'anéantisse, moi, dans la mesure où les soucis quotidiens domestiques qui nous pourrissent en général la vie, par exemple les monstres d'appartement, ont une nette tendance à disparaître comme magiquement dès que votre matière cérébrale et donc votre esprit sont réduits au plus pur appareil par l'événement de leur destruction concrète.