26-1: rythme (GPG1)

Assis à mon bureau d’acajou massif. Suis vieux,
mon crâne presque lisse. Les quelques cheveux qui me restent
comme
de la paille
givrée.

Travaille une, deux heures. Sous mes doigts l’encre
des génies.
Cinq
immortels poèmes
achevés
ce matin.

Suis seul, ma femme morte depuis dix ans,
mais me console :
à l’idée que je serai un phare
pour les générations futures : une étincelle, le soufre
qui embrase
les ténèbres.

Mon pacemaker
assure que tout va bien. 71 BPM. Annonce-t-il.
Toujours ce léger accent coréen.

Vais dehors. Fume.
Les drones de la presse vrombissent au-dessus
des haies de clématite. A l’affût
d’un bon mot
de l’écrivain célèbre.

Jette mon mégot.
Déclare : rien de ce qui est précieux
ne se capture
en vol stationnaire
au téléobjectif.
Les drones enregistrent.

Rentre. Depuis que ma femme est morte,
mes pantoufles trouées. Les garde quand même.
S’il fait froid, deux paires de chaussettes.
Suis comme ça. Ai toujours eu le sens pratique.

La radio annonce : l’académie Goncourt
a sombré sous les eaux. Surprenant. Ces gars-là
savaient pourtant
ce qu’ils faisaient.

Ai encore pas mal
d’immortels poèmes
à écrire
aujourd’hui.

La vie est trop courte.
Les mots manquent.

Le pacemaker donne le rythme.