publié avec l'autorisation sympathique
de mon ami David Bensaïd)
C’était l’été.
On buvait tranquillement la Kronenbourg devant l’épicerie,
on suait, le soleil nous rentrait dedans, mais mon pote était pas d’accord.
– C’est pas comme ça, il a dit, c’est pas la façon,
c’est pas la bonne façon pour boire la bière.
J’ai essayé d’agripper plus fermement ma canette.
– Tu tiens ta bière comme une femme.
– Et quand tu la portes à tes lèvres et que tu bois on
dirait une chèvre qui va se désaltérer à
la fontaine, tu vois, qui trempe doucement ses babines de chèvre, qui met des
petits coups de langue bien sages, bien propres.
J’ai réfléchi. Je lui ai demandé comment il faisait, lui,
comment il faisait
pour boire sa bière.
Il m’a montré. Il a bu sa bière
virilement d’un coup.
– C’est pas compliqué.
– Toi quand tu bois on dirait un Juif. Un petit Juif avec la
main fragile
et la bouche sombre.
J’ai encore essayé de boire.
Mon pote a soupiré.
– Va t’acheter une kippa.
Je suis allé à la boutique, ce n’était pas si loin du
centre-ville.
Devant il y avait tout un tas de jeunes Juifs
qui parlaient entre eux en juif,
ils ne m’ont pas regardé,
je suis entré.
La boutique était poussiéreuse, à croire
que plus personne ne venait.
Le marchand s’est approché en s’aidant d’un déambulateur.
Il a demandé pour quoi je venais, j’ai dit pour une kippa,
mais ça a commencé
depuis quand, il a voulu savoir, je me suis gratté
le crâne et j’ai répondu
depuis trois, quatre ans.
Il a fouillé dans un tiroir, a dit je vais vous donner du 6 ½,
je l’ai remercié,
la kippa m’allait comme un gant, n’hésitez pas à revenir
quand
elle sera trop petite, il m’a conseillé avant que je parte.
J’ai retrouvé mon pote.
– Ah bah voilà, il a dit.
Il est allé m’acheter une bière, est revenu en souriant.
– Comme ça c’est mieux.
On s’est embrassés.
J’étais heureux.
Au moins on savait où on en était.