12-2: pas n'importe quel whisky (GPG3)


Ai moins froid.

Nettement moins froid.

Suis sorti du hangar et me retrouve
sur le pont d’un navire
qu’il faudrait appeler :
vaisseau spatial.
Préfère appeler ça un navire quand même : ça me rappelle
le temps où ma femme et moi
faisions du voilier
dans le golfe du Morbihan. La bonne époque.

Fais quelques pas sur le pont, et là,
au-dessus de moi,
à travers les baies vitrées
taillées en mosaïques
pareilles aux mille facettes
des yeux d’une mouche,
aperçois
un spectacle sans égal 
l’univers
l’univers qui est une mer
ivre, noire, démontée,
bouillonnant d’atomes,
soupe
épileptique et primordiale
dans laquelle
des navires immenses, sphériques,
semblables à des zeppelins tuméfiés
et d'autres plats comme des murènes
et d'autres comme des dés
et d'autres comme des fleurs absolument
sans pétales
brillent
puis disparaissent,
dans laquelle
un trou noir
gigantesque, avide,
se contracte et palpite
et engloutit
la matière
environnante,
dans laquelle
une comète
déchire le néant, furieuse, vibrante,
perçant sa route solitaire
à travers les galaxies,
dans laquelle
une géante rouge cannibalise une planète ridée,
grise, pâle comme une momie,
l'entoure
de ses bras de flamme, l’attire à elle,
la tracte dans le four
de sa matrice irradiée, l’englue
de sa bave placentaire écarlate, la décompose,
la broie, la dévore – on croit 
presque entendre
des cris moribonds, des souffles haletants,
une
prière sans espoir 
dans laquelle 
des communautés d’étoiles clignotent,
peut-être pour mourir
peut-être pour naître,
dans laquelle
le ciel
n’est pas le ciel inerte de la Terre,
le pauvre ciel inhabité
des anciens hommes,
mais une chose nouvelle, étrangère, féconde et jeune
d’une jeunesse sans âme, violente,
insatiable.

Me frotte les yeux.
Pense : C’est pas tout ça,
la vue vaut le détour,
mais après toutes ces émotions,
faut vraiment que je me boive
un petit whisky.
Et du bon.
De l'écossais. Lagavulin, si possible.