2-7: GPG 31



Ces derniers temps, tout me réjouit.

Me sens moins vieux.

Me sens rené : presque un jeune homme
avec la vie devant lui,
avec ses échecs et ses reniements et ses désillusions devant lui
– jeune homme encore propre
comme un sou neuf.


Le fait qu’on devait m’enlever la colonne, qu’on y a renoncé, que je continue d’en jouir,
explique mon contentement : mais en partie seulement.



Ai d’autres sujets de satisfaction : cette planète des gastéropodes par exemple :
belle découverte.
Planète infiniment plus harmonieuse que feu la Terre.
Les réalisations urbaines des limaces qui l’habitent
épousent admirablement les reliefs naturels,
s’intègrent sans difficulté dans le paysage et y ajoutent même,
comme le peintre breton
donne à la mer une lumière
qui n’y était pas
mais semble évidente
et naturelle.
Pas d’orgueilleux buildings ici : tout est à hauteur d’homme, voire un peu plus bas.
Pas d’autoroutes : on se déplace dans de petites soucoupes individuelles, chacun respecte les priorités, les klaxons sont muets.
Pas de déchets, ni détritus, ni saletés d’aucune sorte :
les murs, les rues, les bâtiments officiels et privés sont tous
impeccablement immaculés.


Egalement : cette réception diplomatique à laquelle j’ai été convié en tant que
POèTe OffICiel De LhUMAniTé
(c’est ce qui est écrit sur mon carton d’invitation) :
on y respire le chic et le bon goût, la finesse et la distinction.
Des fresques monumentales, représentant divers
épisodes de l’histoire suisse
– l’indépendance et l’union planétaire,
les grandes guerres mercenaires,
la traversée des premiers trous noirs,
la fondation des banques universelles –
couvrent les murs ; des lampes aux suspensions de rubis et de jaspe projettent
une douce lueur sur les invités ;
des serveurs aux antennes gantées de blanc vous offrent délicatement,
en verrine, de délicieuses mignardises palpitantes ;
on remplit généreusement votre coupe
d’un OH jaune comme une jeune pépite ;
partout des diplomates fougueux, de toutes espèces
(aiguilleurs pointus et glacés, Pile-Pile électriques en smoking,
asperges vibrantes, phasmes longuement chevelus
et bien peignés, organismes unicellulaires
de la taille d’un poing, et d’autres
– de plus étranges encore),
discutent cosmopolitique avec une animation louable,
mais sans véhémence ni irritation ;
au fond de la salle, deux ressortissants Chnoques, leurs larges épaules voûtées
pour ne pas racler le plafond,  
tentent, l’air concentré, de ne pas marcher
sur les autres convives ;
un quatuor de girafes sans pattes joue ce qui me semble être un morceau de Purcell ;
l’ambiance est cordiale et détendue ;
rien à voir avec la sèche atmosphère humaine du Vaisseau de Bataille.


(S’il faut être tout à fait honnête : les limaces autochtones bavent beaucoup,
laissent des traînées de mucus rosâtre derrière elles ;
c’est un désagrément ;
mais il suffit de bien regarder où l’on met les pieds.)


(Pour le reste,  
il me semble que les extraterrestres, quelle que soit
la bizarrerie de leur organisation corporelle
ou de leurs manières, ou de leur mode d’alimentation,
savent vivre, eux,
contrairement aux hommes.)


On me présente même au vice-président de la fédération gastéropode :
c’est une pointure, c’est une sommité,
sans doute l’une des personnes les plus influentes de l’univers,
et pourtant il est amène, courtois, c’est un homme, enfin c’est une limace
dont on peut dire qu’elle a su rester accessible.


Nous causons un moment : il me demande comment va l’humanité.


Point trop mal, lui dis-je.
Du moins on a vu pire.