Sortant de l’école où je suis
venu chercher mon fils, se démarquant distinctement de ses petits camarades par
son allure et sa silhouette, un enfant hideux court vers nous, les parents rassemblés
devant le portail, assez vite malgré le cartable trop lourd de marque française
LAFUMA – fabricant français pionnier du matériel de sport en plein air – qui
lui fait sur le dos comme une bosse gigantesque et invalidante ; son nez,
ne puis-je m’empêcher de noter, ne se situe pas au milieu de sa figure, ainsi qu'il est commun, mais bel et bien en lieu et place de l’œil droit, ce qui produit sur moi un effet proprement révulsif – et si l’on ajoute à cela le fait que,
reconnaissant son père (parfaitement normal, lui, dans le genre italien :
chaussures bicolores, pantalon gris rayé, veste de costard élimé juste ce qu’il
faut, cheveux plaqués au crâne par la brillantine, allumette au coin des lèvres
signalant qu’il tente de s’affranchir d’une addiction au tabac), ledit enfant
ouvre, pour sourire, une bouche qui ne contient aucune dent, mais des parodies
de dents entièrement dépourvues d’hydroxyapatite – ce minéral dont se compose
d’ordinaire les dents – qui font penser à de petits doigts boudinés et disgracieux
davantage qu’à des dents, à de minuscules doigts grossiers d’obèse ordonnés en
deux obscènes double rangées, alors on comprendra bien le pas en arrière que je fis, et ma répugnance, et mon alarme : fallait-il, vraiment, qu’on autorisât
cette créature abjecte, cette caricature d’écolier, à fréquenter le même
établissement scolaire (groupe scolaire « Louis Pasteur ») que mon
fils ? Était-il dieu permis que mon fils apprît le calcul, le dessin, la
géométrie, la flûte à bec et les tables multiplicatrices en compagnie de cette
aberration pseudo-humaine ? Et comment se pouvait-il, de nos jours, avec
les progrès effarants de la médecine moderne et le développement et la
sophistication de l’emploi des ondes à des fins de détection des anomalies, qu’on
laissât sortir un être à ce point taré d’un ventre de femme ? Enfin, surtout,
que penser de cet homme, le père, avec ses manières et sa vêture de mafioso, qui au moment où je vous parle laissait son fils lui sauter dans le bras comme le ferait n’importe
quel père avec n’importe quel fils ? Ne devait-on pas le taxer, cet homme, de
criminel? Ou au moins de déviant ? Car à quoi tout cela rimait-il ?
Tout ce cirque ? Dans quel but avait-il pu tolérer que sa progéniture dégénérée
croisse jusqu’à atteindre, à vue de nez, l’âge de mon propre fils (une huitaine
d’année), sinon dans le but narcissico-sadique suivant : afin de
posséder, près de lui, sous le coude, pour le restant de sa vie, une façon de
copie-monstre de lui-même, sorte d’affreux faire-valoir filial vers lequel se
retourner quand, écœuré de son propre déclin physique, il ressentirait le besoin
de voir quelque chose qui lui ressemble, air de famille oblige, mais en toujours plus atroce ?