16-6: GPG 19


Tandis que la salle, en délire, continue d’acclamer
le poète Pile-Pile,
la charmante poulpe gare sa baignoire à côté de moi.
Charmante est le mot : charmante, désirable.
Certaines personnes, il faut en convenir, peinent à percevoir
le charme exotique des  céphalopodes benthiques ; mais c’est leur problème,
après tout. Quant à moi, y suis sensible : les yeux plaisamment proéminents de cette pieuvre, 
son regard taquin mais cependant profond, ses tentacules délicats
qui reposent avec une grâce nonchalante sur le rebord
de sa baignoire mobile, sa bouche sensuelle s’ouvrant sur deux exquises mandibules cornées,
tout en elle me plaît.

°Qu’est-ce que vous en avez pensé ?° me demande-t-elle,
d’une voix comme le miel
tout frais coulé de l’alvéole.

Je ne sais pas, dis-je avec un haussement d’épaule.
Un peu déjà vu, non ? En tout cas,
– et c’est déjà ça – on dirait que les gens du coin apprécient.

°Plus-Plus, le poète que vous venez d’entendre,
est à la pointe de l’avant-garde de la poésie Pile-Pile°, m’explique-t-elle.

Mes épaules se dressent, puis retombent de nouveau.

°Je m’attendais à une réaction plus virulente de votre part, Sapin.
Considérant que votre poésie appartient
au courant de la poésie concrète/figurative qui a peu à voir
avec la poésie phonétique/répétitive 
à l’honneur chez les Pile-Pile°

Me demande bien comment elle connaît mon nom.
Et ma poésie. Et le courant de ma poésie.
Mais suis flatté.
C’est la première fois que je rencontre une pieuvre
qui a lu mes œuvres.