La grande idée d’Everett est
donc : chaque événement, chaque chose qui se produit au niveau quantique concerne
tout l’univers, affecte l’univers dans son état entier.
Ou dit autrement : en
ouvrant une boîte avec un chat mort ou vivant, en jetant un coup d’œil à
l’intérieur, l’observateur fait bien plus que découvrir un résultat : il
se dédouble, et dans le même temps l’univers, avec ses trous noirs, galaxies et
systèmes et jusqu’à la moindre poussière universelle : se dédouble avec
lui.
Et chacun de ces univers bis correspond à un résultat spécifique.
Il y a un univers chat-mort d’un
côté.
Et de l’autre côté : un
univers chat-vivant.
En sorte qu’au moment de
l’ouverture de la boîte les deux chats superposés dans le chat zombie se
détachent l’un de l’autre comme des sœurs siamoises dont on séparerait
chirurgicalement les colonnes. Ils quittent le probable et rejoignent le sûr
chacun de leur côté dans un univers différent. Et le monde ne cesse de
bourgeonner ainsi en univers multiples dans lesquels il s’est passé telle chose
quantique plutôt que telle autre plutôt que telle autre, il faut imaginer un
arbre cosmologique extrêmement complexe qui n’en finit pas de se ramifier et
nous-mêmes êtres humains et physiciens quantiques orthodoxes ou hétérodoxes et
compagnons/compagnonnes de physiciens quantiques et hôtesses de l’air et
enfants et dames d’un certain âge et autres poussières ne cessons de nous
dédoubler et sommes donc plus nombreux que nous ne pensons l’être puisque nous
possédons une infinité de jumeaux qui pour la plupart n’ont jamais pris cet
avion, je parle de l’avion qui scella votre destin, et vu comme ça vous vous
rendez bien compte qu’il était inutile, effectivement, de se mettre la rate au
court-bouillon pour une bête histoire de moteur qui prend feu, mais encore
faudrait-il pouvoir être certain que cette façon de voir est la bonne la vraie
– la façon qui fonctionne, puis la question se pose de savoir si nous
continuons vraiment d’être présent à travers ces doubles qui sont nous et n’ont
pas pris l’avion ou qui ont découvert un chat mort alors que nous avions
découvert un chat vivant ou bien si ces types-là ne sont pas plutôt des
alterversions de nous-même distinctes en un point central obscur et décisif,
des imposteurs de l’existence réelle, des gens qui font tout à notre place
exactement de la manière dont nous ferions tout mais sans nous laisser
cependant l’authentique gâche d’être qui on est.
Ou dit autrement : même si
l’on accepte de suivre un peu les idées des physiciens quantiques hétérodoxes,
de jouer un minimum leur jeu, on peut se demander avec une inquiétude de type non
feinte si ce qui disparaît quand on prend le mauvais avion ce ne sera pas l’essentiel
: la version de nous-mêmes qui était purement nous – sur laquelle nous avions
le contrôle – dont nous pouvions dire à coup sûr qu’elle vivait notre vie.