Evidemment le chat n’est pas un
chat. Tout le monde l’avait compris. A cause du titre.
Le chat est une particule.
C’est-à-dire que : dans
l’expérience du chat dans la boîte, pendant les trois minutes où l’on ne sait
pas si le chat est mort ou vivant, où il y a du coup cinquante % de chances
qu’il soit en parfaite santé et cinquante % de chances qu’il soit désintégré
(si vous avez opté pour la dynamite) ou dissous (si vous avez opté pour
l’acide), le chat est à la fois mort et vivant, donc zombie, il existe à la
façon d’une particule quantique, on ne peut pas dire qu’il est l’un ou l’autre,
mort ou vif, on est obligés d’admettre avec une petite grimace et une
sensation d’abstrait dans le creux de la nuque qu’il est les deux à la fois,
que ce chat se trouve entre chien et loup, coincé dans une manière de pénombre
existentielle qu’on pourrait appeler aussi brouillard probabiliste ou brume quantique
– et c’est cela qu’on appelle un état de superposition.
Mais : au moment où on ouvre
la boîte qui est aussi le moment où on va regarder dans la boîte, le
chat/particule va rejoindre un état ou un autre. Soit chat-qui-ronronne. Soit
chat-qui-n’est-plus, souvenir-de-chat,
chat-dont-il-ne-reste-qu’une-touffe-de-poil-roussie-parce-que-vous-avez-utilisé-de-la-dynamite,
ou
chat-dont-il-ne-reste-qu’une-vague-trace-organique-au-fond-de-la-boîte-parce-que-vous-avez-utilisé-de-l’acide.
Et les physiciens quantiques
orthodoxes, qui sont des gens raisonnables, vont expliquer le phénomène
ainsi : c’est le fait de regarder dans quel état se trouve le chat qui
fait passer le chat d’un état à un autre. Tant qu’on n’a pas vu, tant qu’on ne
connaît pas le résultat, le chat vivant est aussi possible que le chat mort.
C’est en mesurant le résultat de notre expérience scientifique du chat dans la
boîte qu’on détermine l’état du chat, qu’on le rend certain, qu’on met fin à
son ambiguïté existentielle de chat zombie.
Voilà pour les explications
raisonnables. Mais ces explications raisonnables – les explications des
physiciens quantiques qui en tiennent pour l’interprétation dite orthodoxe de la physique quantique,
également nommée interprétation de Copenhague à cause que elle a été inventée
par entre autres un Danois*, ne résolvent pas tout – il y a encore des tas de
points qui demeurent problématiques comme par exemple : si regarder le
chat le fait passer d’un état à un autre est-ce que ça marche aussi lorsque
quelque chose d’autre que nous regarde le chat, quelque chose comme une petite
bestiole sans trop de cerveau par exemple disons n’importe quoi au hasard,
disons une mouche, si une mouche regarde le chat est-ce qu’elle le fait passer
aussi d’un état à un autre, ou est-ce que c’est de savoir, de comprendre que le
chat est mort qui le rend mort, est-ce que c’est notre conscience de la
situation le-petit-chat-est-mort-dans-la-boîte qui crée cette situation, qui
tue le chat ? Et peut-on dire du coup que c’est en découvrant le chat-mort
que nous tuons le chat ?
Ce qui revient à pointer du doigt
un souci : pourquoi la mesure d’une particule-chat quantique
déterminerait-elle sa position/son état ? Qu’est-ce qui se passe vraiment
quand on observe une particule quantique ou qu’on ouvre une boîte avec un chat
mort-vivant à l’intérieur ? Est-ce qu’on modifie l’univers chaque fois
qu’on le regarde un peu sérieusement ? Qu’est-ce qu’il y a au juste dans
un regard/dans une mesure qui puisse changer la configuration du cosmos ?
Est-ce que ça marche avec un regard d’insecte ou avec un regard de petite fille
de quatre ans et demi ou avec un regard qui serait moins qu’un regard, est-ce
que ça marche avec une molécule qui se baladerait juste là à ce moment
au-dessus de la boîte contenant le chat et déciderait d’y fourrer son petit
œil-pas-vraiment-œil de molécule ?
C’est ce souci, l’existence de ce
souci dans l’interprétation danoise de la physique quantique qui laisse de la
place à l’incrédulité, à la contestation, à la dissidence ; et c’est dans cet
espace laissé libre que les physiciens quantiques hétérodoxes – ceux dont le flegme reptilien gâcha les derniers
moments de votre existence – vont s’engouffrer.
*Niels Bohr : 1885-1962.
Avait une sœur qui s’appelait Jenny. N’obtiendra de sa femme Margrethe que des
garçons (six), dont un que – sur un coup de folie – ils décideront de prénommer
Aage. Connut Einstein avec qui il se disputa pas mal, au point que Einstein,
excédé, lui lança un jour « Dieu ne
joue pas aux dés ! » à quoi Niels répondit « Qui êtes-vous
Einstein ? » ce qui coupa son sifflet à Einstein. Sur la lune, il
existe une vallée qui s’appelle Bohr (Vallis
Bohr). En son honneur.