Enfin. Si vous n’avez rien
compris à ce qui précédait, c’est normal, moi non plus, et de toute façon je
pars du principe que la science c’est comme l’amour: ce n’est pas parce qu’on ne
comprend pas qu’on ne comprend pas – et ça ne doit surtout pas nous empêcher de
résumer encore un peu l’affaire un dernier petit coup dans ce dernier petit
texte histoire de faire une conclusion tout en ajoutant discrètement de
nouvelles informations histoire de ne pas perdre la main:
l’univers on l’a dit n’est pas
contrairement aux idées reçues juste un univers mais c’est bien plus, c’est un
multivers qu’il faut se représenter comme une grosse casserole n’arrêtant pas
de s’agrandir (c’est l’éternelle inflation) mais aussi bouillant et formant des
flopées d’univers-bulles qui sont des univers ayant cessé de grandir et
stabilisés sous la forme de petites bulles comme les bulles qu’il y a dans la
flotte avant que nous plongions nos pâtes dedans, or tous ces univers
n’existent pas réellement en même temps, ils existent à l’intérieur d’un
multivers infiniment grand infiniment grandissant à la manière du chat mort et
du chat vivant dans la boîte c’est-à-dire qu’ils existent dans un espace
probable, en tant que résultats possibles d’observations tout comme chats morts
et chats vivants sont des résultats possibles après ouverture de la boîte, en
somme le multivers est une gigantesque boîte-casserole en infinie expansion
dans laquelle s’ébattent des hordes et des hordes de chats-univers-bulles à la
fois morts et vivants et qui n’attendent qu’une chose : qu’on les regarde,
pour choisir leur camp.
Voilà en tout cas ce que cherche
à nous faire gober les physiciens quantiques hétérodoxes dont on sait pour
l’avoir assez répété que ce ne sont pas des gens comme nous, ni même des gens
tout courts, ce qui ne les empêchera pourtant pas d’avoir peut-être raison,
tout tient en réalité à un test très simple sur le papier, il faut mesurer la
courbure de notre univers en observant le fond diffus cosmologique c’est-à-dire
le rayonnement qu’émit notre cosmos au début quand il était encore jeune et
joueur et n'avait que 380000 ans et si :
notre cosmos est plat comme les
observations actuelles tendent à le faire penser alors il n’y a a priori pas d’autres univers nous
sommes dans le seul univers et si :
notre cosmos a une courbure
négative comme pourraient le montrer d’autres observations du fond diffus dans
les décennies qui viennent avec les progrès de la science de l’observation
cosmologique alors il y a bien moyen que les physiciens quantiques hétérodoxes
aient raison – même si ça fait mal au cœur de l’admettre – et qu’il existe un
multivers en expansion infinie dont notre cosmos n’est qu’une des microbulles et si :
notre cosmos possède au contraire
une courbure positive alors au temps pour Everett et sa clique et autres
tenants du multivers inflationnaire car dans ce cas c’est sûr de chez sûr qu’il
n’y a pas d’univers-bulles ce qui nous permettra alors d’ouvertement mépriser
les physiciens quantiques hétérodoxes quand on en rencontre et de se moquer de
leurs petites habitudes de vieux maniaques (chicorée/guignolet-kirsch) et de
continuer d’éprouver en toute bonne conscience des sentiments de terreur quand
les moteurs de notre avion prennent feu.
Dans l’état où vous vous trouvez (la mort suite à une catastrophe aérienne), vous pouvez bien sûr être ici à ce moment précis tenté de vous ranger du côté des
physiciens quantiques hétérodoxes – dans l’espoir de connaître, à travers vos
jumeaux quantiques encore vivants, dans des univers différents mais si peu, par
procuration, d’autres vies – pas tout à fait la vôtre, mais si proches.
C’est une réaction humaine,
compréhensible pour un mort.
Mais pensez à nous. Pensez à ceux
qui restent. Pensez à ce qu’il adviendra de nous les encore vivants si l’on
découvrait que le monde tel qu’on le connaît n’est pas le monde tel qu’on le
connaît mais une bouillie multiverselle de mondes probables parallèles et
changeants. Et je vous pose la question : que deviendront nos projets et
nos esprits et nos choix et la conviction que nous avions d’être nous-mêmes, dans
ce cas de figure ? Et je réponds vite fait à la question : une
indescriptible tambouille continuelle dans lequel rien ne vaudra mieux qu’autre
chose, prendre l’avion ou ne pas prendre l’avion, tuer le chat ou ne pas tuer
le chat, jeter le bébé avec ou sans l’eau du bain, naître
ou ne pas naître.
Oui, pensez à nous. Et ne souhaitez
pas trop fort la victoire des hétérodoxes.
Car ce n’est jamais bon pour
personne lorsque l’inconcevable triomphe.