Barbares 4.2

 

Je crus d’abord, tant la colère déformait son faciès, que le barbare allait me saisir à la gorge, me soulever dans les airs et fracasser mon crâne contre l’horloge en laiton chromé que mon arrière-grand-oncle avait ramené des îles bien avant la première invasion barbare (celle qui avait été brillamment repoussé par nos grands-parents) – contre un objet, donc, de très haute valeur.

Une fraction de seconde, on eût pu aussi croire, à l’inverse, que ce furieux énergumène jetterait l’éponge, tournerait les talons et rentrerait à son quartier général pour y faire la demande d’une autre affectation. Il faudrait en ce cas s’attendre, à terme, à l’arrivée d’un autre barbare ; mais au moins eussions-nous ainsi goûté une manière de répit.

Au lieu de cela, ses pupilles s’étrécirent, ses narines grossières se dilatèrent, tout son grand corps ferme sculpté par la violence se figea ; l’irritation, l’impatience et le courroux cédèrent uniment la place au désir : le barbare venait d’apercevoir Rosaline, ma cadette : peau laiteuse, haleine brûlante, yeux noir gouffre, dents ivoirines admirablement découpées contre la caverne incarnat de la bouche fruitée, généreuse chevelure cascadant jusqu’aux hanches pleines, front délicat frangé de mèches fortes et sombres, bleu pâle des veines aux tempes, et que dire du velouté des bras, de la finesse de la silhouette, des paupières bombées et peintes, des pommettes altières ou de la grâce quasiment royale du port de tête ?

Rien. N’en disons rien.

Mais soulignons tout de même que le barbare enfila illico ses patins.