Barbares 5.1

 

Après le mariage de nos filles, mes vieux amis et moi-même nous réunîmes d’abord en divers lieux clandestins : salles de billard abandonnées, anciens locaux de clubs de fléchettes, établissements autrefois spécialisés dans l’organisation de thés dansants qui avaient dû, pour cause de conjoncture très défavorable, mettre la clé sous la porte.

Las, ce qui devait arriver arriva. Les salles, locaux, établissements qui nous servaient de base arrière furent rasés, ou bien leurs entrées condamnées au moyen de maçonnages hâtifs par les agents du « nouveau gouvernement ».

Nous n’eûmes alors plus d’autre choix que de nous fixer rendez-vous en pleine forêt, au beau milieu de la nature de notre admirable pays, parmi les insectes et les bêtes fourmillantes de la nuit et les arbres plusieurs fois centenaires.

C’est torches en main que nous nous y rendîmes. Sous un ciel d’encre dont les ténèbres se voyaient à peine lardées de constellations blanchâtres dont nous ignorions les noms. Il faisait froid. Je regrettai amèrement de ne pas avoir pris une petite laine supplémentaire. Cette scène quasi primitive – vingt, trente amis qui cheminent dans l’obscurité puis établissent leur camp au cœur de nulle part – présentait sur le moment tous les atours de l’exceptionnel ; elle ne fut en vérité, comme nous le découvrîmes plus tard, qu’un avant-goût de ce qui nous attendait dans les semaines, les mois à venir, quand exilés en notre propre pays, nous en serions réduits à partager le produit de nos misérables chasses (des vers, des mouches et des araignées à très fines pattes, essentiellement) dans une grotte où le jour ne pénétrait jamais.